La crise a mis en évidence la nécessité et les difficultés d’une union bancaire pour la zone euro. Cette chronique soutient que, pour faire une union, il faut trois ingrédients cruciaux : une supervision commune, un mécanisme de résolution unique et des filets de sécurité communs. Le pouvoir de contrôle et les ressources de sauvetage doivent fonctionner en parallèle. Les dirigeants de la zone euro ont pris les premières mesures essentielles, mais des progrès supplémentaires sont nécessaires pour renforcer l’architecture financière de la monnaie unique.
Avant la crise, la monnaie commune et le marché unique favorisaient l’intégration financière. Les banques et les institutions financières opéraient facilement d’un pays à l’autre, le crédit allait là où il était demandé et les portefeuilles se diversifiaient de plus en plus. Le marché interbancaire fonctionnait sans problème et les conditions monétaires étaient relativement uniformes dans la zone euro. Il y a eu des effets secondaires, comme d’importants flux de capitaux au sein de la zone euro et l’accumulation connexe de déséquilibres souverains et privés. Mais, dans l’ensemble, une architecture financière hybride fondée sur une monnaie unique et un marché commun, ainsi que sur des filets de sécurité financière, un contrôle bancaire et une réglementation nationaux, a semblé bien servir la zone euro.
Les tensions inhérentes à la conception des institutions
La crise a mis à nu les tensions inhérentes à cette conception institutionnelle. Le coût des emprunts privés a augmenté en même temps que celui des emprunts souverains, ce qui a entraîné une procyclicité et a nui à la transmission monétaire. Cela a amplifié la fragmentation financière (figure 1) et la volatilité, et a donc exacerbé le ralentissement économique. Cette dynamique négative résulte de l’incapacité à contrôler les conditions locales de taux d’intérêt et d’une architecture qui a renforcé le lien entre les secteurs bancaire et réel d’un pays et la santé de ses finances publiques. Avec le recul, il est évident qu’en période de prospérité, les banques se sont développées dans de nombreux endroits à une échelle qui a dépassé les capacités de surveillance nationales, tandis qu’en période de crise, elles ont dépassé les ressources budgétaires nationales. Il est également évident que, dans l’architecture existante, si les finances d’un État souverain sont saines, la protection qu’il offre à ses banques est crédible. En revanche, si elles sont faibles, ses banques sont perçues comme vulnérables et doivent donc faire face à des coûts de financement plus élevés (figure 2) (voir Acharya et al. 2012, Gerlach, Schulz et Wolff 2010).
La crise a également mis en évidence une deuxième tension. Les régulateurs nationaux peuvent favoriser indûment le système bancaire et l’économie d’un pays et ne pas internaliser les retombées transfrontalières, qui vont au-delà de leur mandat. En période de prospérité, ils peuvent ne pas tenir compte de la manière dont leurs actions contribuent à l’accumulation d’excès dans d’autres pays. Dans les périodes difficiles, elles peuvent encourager la réduction des activités transfrontalières de leurs banques, exacerbant ainsi la fragmentation financière.
Une union bancaire peut-elle aider et à quoi devrait-elle ressembler ?
Dans un article récent (Goyal et al. 2013), nous soutenons qu’une union bancaire bien conçue peut contribuer à résoudre ces deux tensions. Pour être efficace, le nouveau cadre institutionnel devrait comporter trois éléments :
Un cadre unique de réglementation et de surveillance.
Un mécanisme de résolution unique.
Un filet de sécurité commun.
Ces trois éléments sont nécessaires.
Un mécanisme de surveillance unique sans un cadre commun de résolution et de filet de sécurité ne contribuera guère à briser le cercle vicieux entre les banques et les souverains et à rétablir un mécanisme de transmission monétaire fonctionnant correctement.
En particulier, l’absence d’un cadre de résolution crédible entraverait l’efficacité du mécanisme de surveillance unique et empêcherait la prise de décisions en temps utile en laissant les autorités nationales gérer les conséquences budgétaires des décisions de surveillance des autres.
La recapitalisation des banques ainsi que les mécanismes de résolution et d’assurance des dépôts manqueraient de crédibilité sans l’assurance d’un soutien budgétaire et d’accords de partage des charges.
Inversement, des filets de sécurité et des mécanismes de sauvegarde communs sans une supervision et une résolution efficaces briseraient les liens entre les banques souveraines, mais risqueraient de fausser les incitations, de renforcer les tendances à l’abstention réglementaire et de transférer les pertes au niveau de la zone euro.
En bref, le pouvoir et les ressources doivent aller de pair.
L’Europe avance dans la bonne direction et (compte tenu des contraintes institutionnelles) à une vitesse louable. Des progrès importants ont été accomplis dans la mise en place d’un règlement unique et d’un mécanisme de surveillance unique, et l’objectif est de convenir d’un cadre pour un mécanisme européen de stabilité – la recapitalisation directe – d’ici juin 2013 et d’un mécanisme de résolution unique qui pourrait être en place en 2014. Il existe bien sûr des défis de mise en œuvre liés à la mise en pratique d’une surveillance commune efficace. Il est également essentiel d’éviter de bloquer les réformes. À cet égard, il est essentiel de convenir d’un cadre et d’un calendrier pour les filets de sécurité et les mesures de soutien communs.
Est-ce la solution à la crise ?
Il est évident qu’une union bancaire ne résoudra pas tous les problèmes de la zone euro. Mais elle peut contribuer à accélérer le processus de réparation. Le déploiement de ressources communes par l’intermédiaire du MES permettra de recapitaliser et de réparer les banques dont le souverain est faible. Pour aligner les incitations, une gouvernance et un contrôle adéquats doivent être mis en place – par le biais de la supervision de la BCE 1 Une supervision commune atténuera également le cloisonnement réglementaire. Ces actions réduiraient la fragmentation des marchés financiers, aideraient à réparer la transmission monétaire et faciliteraient la reprise économique.
Rétrospectivement, on pourrait également faire valoir qu’une surveillance commune efficace aurait limité les expositions concentrées des banques à certains risques. Par exemple, des superviseurs à l’échelle de la zone euro n’auraient sans doute pas laissé les risques liés à la taille, à la structure et à la concentration croître comme ils l’ont fait dans des pays tels que l’Espagne, l’Irlande ou Chypre. Une surveillance unique efficace s’inscrirait dans une perspective plus large et devrait contrebalancer toute tendance des filets de sécurité communs à laisser les déséquilibres se creuser davantage.
Comment y parvenir ?
Dans un monde idéal, en période de tranquillité, la transition vers une union bancaire serait progressive. Elle commencerait très probablement par l’harmonisation de la surveillance, de la résolution et des filets de sécurité entre les pays. Elle serait suivie d’un accord sur le partage des charges et les mesures de soutien fiscal, et du développement de nouvelles institutions communes. Enfin, le processus culminerait avec le transfert des pouvoirs et des responsabilités vers une union bancaire complète, dotée d’un mécanisme de surveillance unique, d’une autorité de résolution unique, d’un fonds commun de résolution et de garantie des dépôts, et de mécanismes de soutien communs.
Mais les temps sont loin d’être calmes. Une action rapide est nécessaire, et les solutions peuvent temporairement comporter des risques et des coûts. Cependant, un calendrier bien défini et un accord sur la forme que prendra finalement l’union bancaire minimiseront le risque d’une architecture incomplète et éventuellement incohérente.
Rompre le lien entre souverain et banque
La réparation du secteur financier et le rétablissement d’un mécanisme de transmission de la politique monétaire fonctionnant correctement sont des éléments clés de toute stratégie de résolution de crise. De ce point de vue, la décision des dirigeants de la zone euro de permettre au mécanisme européen de stabilité de recapitaliser directement les banques est la bonne.
Il est certain que les banques non systémiques en faillite doivent être résolues au moindre coût pour les systèmes nationaux d’assurance-dépôts et les contribuables.
Cependant, la question d’une aide potentielle de la zone euro peut toujours se poser pour les banques systémiques nationales fragiles, pour lesquelles les souverains individuels peuvent ne pas avoir les ressources adéquates pour y faire face, sous peine de compromettre la solvabilité publique.
Une première étape consiste à reconnaître pleinement les pertes sur les bilans bancaires. Étant donné que le mécanisme européen de stabilité ne peut pas compenser les pertes attendues, une solution pragmatique pour ressusciter les banques nationales systémiques fragiles consiste à ce que le secteur privé et l’État souverain national investissent autant de capital que nécessaire pour rendre la position de capital non négative. Le mécanisme européen de stabilité viendrait en complément pour répondre aux exigences réglementaires et devrait se tenir prêt à soutenir la banque en cas de pertes inattendues. De cette façon, l’implication du mécanisme européen de stabilité dissocierait le souverain des futures pertes inattendues sur les bilans des banques. En garantissant que les banques ont un propriétaire dont la solidité financière est incontestable, il améliorerait les conditions de financement des banques.
Préoccupations liées au risque moral
Les ressources du mécanisme européen de stabilité devraient être débloquées le plus rapidement possible. Toutefois, le transfert des responsabilités financières vers le centre doit être équilibré par le transfert du pouvoir de surveillance. Dans ce contexte, la décision de subordonner la recapitalisation directe du mécanisme européen de stabilité à la mise en place d’un mécanisme de surveillance unique efficace au sein de la BCE est judicieuse.
Résolution commune et filets de sécurité
Le mécanisme de stabilité unique devra travailler avec les autorités de résolution nationales pour résoudre ou restructurer les institutions faibles, jusqu’à la mise en place d’une autorité de résolution unique dotée de dispositifs de soutien communs. Pour faciliter le processus, il pourrait être intéressant de créer un organe temporaire ou de créer d’urgence une agence européenne chargée de coordonner la gestion et la résolution des crises bancaires entre les autorités nationales et la BCE. S’accorder sur des principes clairs concernant la hiérarchie des demandeurs et réduire les attentes en matière de renflouement contribuerait à contenir les coûts budgétaires des résolutions futures, notamment en autorisant la possibilité de renflouer les créanciers non assurés.
Des mesures devraient être prises pour mettre en place de véritables filets de sécurité communs afin d’assurer les risques plus efficacement et d’affaiblir les liens entre les banques souveraines. Un système de réassurance, par exemple, pourrait être créé pour les systèmes nationaux de garantie des dépôts, financé au niveau de la zone euro par des prélèvements sur le secteur et des contributions des États membres. Un accord ex ante sur les parts du financement national et supranational dans les paiements des déposants limiterait le risque moral. Au fil du temps, le fonds renforcerait sa capacité administrative et pourrait constituer une étape vers un fonds permanent de garantie des dépôts et de résolution.
Risques et problèmes
L’un des principaux risques est celui d’une mise en œuvre incomplète ou bloquée. Comme nous l’avons vu plus haut, une union bancaire efficace implique une supervision et une réglementation uniques, un mécanisme de résolution unique, ainsi que des mesures de soutien et des filets de sécurité fiscaux communs. Par conséquent, l’accord sur les aspects essentiels de la conception et leur mise en œuvre ne doivent pas être reportés à un avenir lointain.
D’autres risques liés à la transition concernent la capacité à mettre en place une capacité adéquate à la BCE et à établir des relations compatibles avec les incitations entre la BCE et les régulateurs nationaux. Tout cela prendra inévitablement un certain temps. Dans l’intervalle, les conflits d’intérêts peuvent entraîner une dérive de la surveillance. Il est donc essentiel de clarifier les responsabilités et les obligations des différentes autorités de surveillance. Pour limiter les conflits et améliorer la communication, la BCE devrait rapidement mettre en place des équipes transnationales pour la supervision des banques les plus systémiques ou les plus fragiles. En outre, il sera important d’équilibrer la représentation des intérêts nationaux et des fonctionnaires de la BCE dans la structure de gouvernance du mécanisme unique de stabilité. Il existe également des inquiétudes quant aux conflits entre l’objectif traditionnel de la BCE et sa responsabilité nouvellement acquise. Pour répondre à ces préoccupations, on pourrait envisager de renforcer la gouvernance du processus décisionnel et la responsabilité de la surveillance au même niveau que les fonctions de banque centrale. Enfin, étant donné que les risques systémiques peuvent réapparaître à l’avenir, à mesure que les interconnexions et la taille évoluent, une vigilance renouvelée et de nouveaux outils politiques (tels que ceux classés comme macroprudentiels) seront nécessaires à la BCE.